Champagne le coiffeur (Pierre BOUCHER)

Comédie en un acte et en vers.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Marais, en 1662.

 

Personnages

 

BONIFACE

ÉLISE, fille de Boniface

LISETTE, servante d’Élise

MONSIEUR THOMAS, voisin et ami de Boniface

CLÉANDRE, Champagne, amant d’Élise

GUILLOT, valet de Champagne

 

La scène est à Paris.

 

 

Scène première

 

CLÉANDRE, GUILLOT

 

GUILLOT.

Pour ce coup votre affaire est faite ;

Monsieur, je viens de voir Lisette,

Elle m’a dit et répété

Qu’Élise en la captivité

Où la retient son fol de père,

Est dans le dessein de tout faire,

Si vous la jugez à propos,

Pour assurer votre repos

CLÉANDRE.

Guillot, l’agréable nouvelle

Que m’apportes-tu de ma belle !

Quelle adresse trouverons-nous ?

GUILLOT.

J’en ai mille ; vous moquez-vous ?

CLÉANDRE.

Guillot, il n’en faut trouver qu’une,

Et je réponds de ta fortune.

GUILLOT.

Tant mieux ; mais la ferez-vous bien ?

CLÉANDRE.

Dis...

GUILLOT.

Non, celle-là ne vaut rien.

Je m’en vais en trouver une autre.

Où diable est donc l’adresse nôtre ?

Ha ! j’en tiens une... Mais voici

Votre Élise et mon cher souci ;

L’une et l’autre de nous s’approche.

 

 

Scène II

 

CLÉANDRE, GUILLOT, ÉLISE, LISETTE

 

ÉLISE.

Monsieur, je m’expose au reproche,

Et peut-être à pis, pour vous voir.

CLÉANDRE.

Mon heur ne se peut concevoir.

LISETTE.

Mon cher Guillot, je te rencontre !

GUILLOT.

C’est mon bon démon qui me montre.

ÉLISE, à Cléandre.

Je ne respire que pour vous.

CLÉANDRE.

Vous faites mes soins les plus doux,

Ainsi que mes inquiétudes.

ÉLISE.

Que je passe de moments rudes

Près d’un père capricieux !

CLÉANDRE.

C’est ce qui me rend malheureux.

GUILLOT, regardant Lisette.

Hay, hay.

LISETTE.

Quoi, Guillot, tu soupires !

As-tu quelque chose à me dire ?

GUILLOT.

Devine ! aussi bien je ne puis

Te dire l’état où je suis ;

Tâte-moi le pouls, je te prie.

LISETTE.

Il est ému.

GUILLOT.

C’est de furie.

LISETTE.

Toi furieux ! depuis quel jour ?

GUILLOT.

Depuis que j’enrage d’amour.

Peux-tu n’enrager pas de même ?

Pour peu qu’il soit vrai que tu m’aimes,

Permets...

LISETTE.

Arrête-toi, badin.

GUILLOT.

Mon amour mourra donc de faim !

CLÉANDRE.

Ha ! ne soupçonnez pas ma flamme,

Je n’en sens que pour vous, Madame.

ÉLISE.

Pour justifier votre foi,

Agissez pour vous et pour moi ;

Songez que je suis renfermée.

CLÉANDRE.

Songez que vous êtes aimée,

Et qu’il n’est rien dont un amant

Ne vienne à bout fort aisément.

ÉLISE.

Cette assurance me console.

CLÉANDRE.

L’effet suivra cette parole.

ÉLISE.

Je tremble en vous parlant ici.

LISETTE, à Guillot.

Te voilà donc bien radouci ?

GUILLOT.

Ha ! si tu voulais, ma Lisette,

Ma moutonne, ma brebiette,

Mon cœur, mon tendron, mon toutou...

LISETTE.

Tais-toi, Guillot, tu deviens fou.

GUILLOT.

Si tu voulais, bête farouche,

J’apposerais dessus ta bouche

Le cachet de mes chauds désirs.

ÉLISE.

Épargnez-moi les déplaisirs

Que j’aurais, si j’étais surprise.

CLÉANDRE.

Ne craignez rien, ma chère Élise.

ÉLISE.

Mais mon père n’est pas bien loin ;

Il m’observe avec tant de soin

Que, sitôt qu’il me perd de vue,

Il pense que je suis perdue :

L’ombre d’un homme lui fait peur.

GUILLOT.

C’est qu’il n’est pas de votre humeur.

LISETTE.

Finissez, j’entends Boniface ;

Je crains bien pis que la menace.

ÉLISE.

Il est rentré par le jardin.

CLÉANDRE.

Madame, vous craignez en vain,

Si vous ne vouliez pas l’attendre.

ÉLISE.

Je n’oserais rien entreprendre.

LISETTE.

Hélas ! sauvons-nous au plus loin !

ÉLISE.

Non, non, cachons-nous à ce coin,

Et vous, Monsieur, prenez la fuite.

En quel état suis-je réduite !

CLÉANDRE.

Vous abandonner au courroux

De ce bizarre ?

ÉLISE.

Éloignez-vous.

CLÉANDRE.

Il ne me connaît point.

ÉLISE.

N’importe,

Retirez-vous devant qu’il sorte.

GUILLOT.

Ha ! Monsieur, ne répliquez pas,

Retirons-nous, doublons le pas

Cet homme est prompt, il extravague,

Il pourra donner de sa dague.

CLÉANDRE.

S’il extravague, j’en rirai.

GUILLOT.

Et s’il dague ?

CLÉANDRE.

Je périrai,

Plutôt que perdre ce que j’aime.

GUILLOT.

Ha ! Votre furie est extrême

De risquer votre dernier jour

Pour une chimère d’amour.

 

 

Scène III

 

CLÉANDRE, ÉLISE, GUILLOT, LISETTE, BONIFACE

 

BONIFACE, crie dans son logis.

Ma fille, ma fille, Lisette !

Elles ont plié la toilette :

Hélas ! je suis déshonoré.

LISETTE.

Il est au bas du grand degré,

Il va sortir.

ÉLISE.

Je suis perdue,

S’il me rencontre dans la rue.

BONIFACE, sortant de son logis.

Au secours, voisins, au secours !...

LISETTE.

À quoi donc aurons-nous recours ?

BONIFACE.

Il n’est ni servante, ni fille !

Cherchons partout, courons la ville.

ÉLISE, bas.

Lisette, rentrons au logis.

BONIFACE.

Au secours, voisins, mes amis !

LISETTE, rentrant.

Ma foi, l’occasion est bonne.

BONIFACE.

Quoi, tout le monde m’abandonne !

Maître Claude, maître Thomas,

Hé quoi, ne m’entendez-vous pas ?

Voisins, que Dieu puisse confondre,

Vous ne daignez pas me répondre !

Les traîtres, les maudits voisins !

Qu’ils riront tantôt, les vilains,

Apprenant ma déconvenue !

Hélas ! je l’avais bien prévue,

Et je devais, la prévoyant,

Être beaucoup plus défiant.

Ha ! si j’attrape l’infidèle

Je serai sa garde éternelle.

CLÉANDRE, bas à Guillot.

Suis-moi je conçois un dessein

Qui pourra réussir.

BONIFACE.

Enfin

Redoublons ici les alarmes !

Au secours, aux armes, aux armes !

 

 

Scène IV

 

BONIFACE, MONSIEUR THOMAS.

 

THOMAS, sortant brusquement de son logis.

À quel secours faut-il aller ?

Faut-il battre ? faut-il parler ?

À quoi faut-il qu’on remédie ?

Est-ce rapt, larcin, incendie ?

Faut-il avoir recours à l’eau,

Au prévôt, au juge, au bourreau ?

Est-ce duel ? est-ce rencontre ?

Faut-il dégainer pour ou contre ?

Qu’est-ce ?

BONIFACE.

Ce n’est point tout cela,

Mais bien une partie...

THOMAS.

Holà,

De vos maux allons à la source.

Vous a-t-on coupé votre bourse ?

Vous en reste-t-il les pendants ?

Quel argent aviez-vous dedans ?

BONIFACE.

Ce n’est pas ce que je regrette.

THOMAS.

Vous a-t-on donné de la brette ?

Vous a-t-on donné du bâton,

Ou bien des étrivières ?

BONIFACE.

Non...

THOMAS.

Ces affronts sont insupportables,

Souvent ce sont maux incurables.

BONIFACE.

Mais...

THOMAS.

Mais est un terme importun.

Étaient-ils deux ? N’étaient-ils qu’un,

À vous faire une telle injure ?

BONIFACE.

Je me plains...

THOMAS.

De quelle aventure ?

BONIFACE.

Mais vous m’interrompez toujours !

THOMAS.

Mais pourquoi crier au secours ?

BONIFACE.

Pourquoi ? parce que l’on m’opprime.

THOMAS.

L’oppression est un grand crime,

Et la justice en pareil cas

Devrait bien ne s’endormir pas ;

Car quand on néglige une affaire,

Souvent on manque au nécessaire.

Ainsi...

BONIFACE.

Laissez-moi donc parler.

THOMAS.

Ha ! laissez-moi vous consoler :

Je connais ce qui vous afflige.

BONIFACE.

Ha ! laissez-moi parler, vous dis-je.

THOMAS.

Mais, compère, vous avez tort ;

Je viens vous secourir.

BONIFACE.

D’abord

Je l’ai cru ; mais las j’en enrage.

THOMAS.

Vous êtes un sot personnage.

Mon compère, mon cher voisin,

Pourquoi vous plaignez-vous en vain ?

BONIFACE.

Moi me plaindre en vain ! L’apparence,

Après une si grande offense !

THOMAS.

Je commence à souffrir pour lui.

BONIFACE.

Ha ! compère, je meurs d’ennui.

THOMAS.

Le sujet ?

BONIFACE.

J’ai perdu ma fille !

THOMAS.

Adieu l’honneur de la famille !

Par quel accident, par quel sort ?

BONIFACE.

Elle vient de prendre l’essor.

THOMAS.

Je vous l’avais bien dit, compère,

Qu’il aurait été nécessaire

De la garder soigneusement.

Mais savez-vous certainement

Qu’elle vous ait fait banqueroute ?

Savez-vous aussi quelle route

Elle tient, s’éloignant d’ici ?

BONIFACE.

C’est de quoi je suis en souci.

THOMAS.

Connaissez-vous bien qui l’enlève ?

BONIFACE.

Non, et c’est là ce qui m’achève ;

Cependant je le veux chercher,

Le prendre vif et t’écorcher.

THOMAS.

C’est bien résoudre ; mais, compère,

Il faut refréner la colère.

J’estime donc qu’en cas pareil

Tout homme a besoin de conseil ;

C’est pourquoi je veux vous déduire

Chose qui ne vous pourra nuire.

BONIFACE.

Il n’en est pas besoin.

THOMAS.

Les Grecs

Jadis pour un pareil succès,

Bon gré malgré les destinées,

Guerroyèrent plusieurs années ;

Hélène, que ravit Paris,

De cette guerre fut le prix.

BONIFACE.

À quoi bon ?...

THOMAS.

Écoutez le reste.

BONIFACE.

Secours importun et funeste !

THOMAS.

Or la femme de Ménélas,

Qui causa dix ans de combats...

BONIFACE.

Ah ! L’insupportable boutade !

À quoi bon citer l’Iliade ?

J’enrage...

THOMAS.

Pour vous faire voir

Tout ce que vous devez prévoir

En vous armant pour votre fille ;

Car comme Ulysse, Hector, Achille,

Patrocle, Achille, Ulysse, Hector...

Je veux être votre Nestor,

Et faire plus, par ma prudence,

Que cent autres par leur vaillance.

BONIFACE.

Hé, de grâce, maître Thomas,

Souffrez...

THOMAS.

Mon pauvre Ménélas,

En une occasion pareille,

Il est bon que je vous conseille.

Pour assiéger un Ilion

Il faut de gens un million,

Il faut avoir des dieux propices

Il faut des Ajax, des Ulysses,

Il faut des démons familiers

Des chevaux de bois, des béliers,

Et cent mille autres ustensiles

Propres à renverser des villes.

BONIFACE.

Au diable soit le conseiller !

THOMAS.

Vous n’aimez point à batailler ?

Hé bien, conseillons d’autre sorte.

BONIFACE.

Que le grand diable vous emporte !

Si je puis parler une fois,

Je parlerai pour plus d’un mois.

THOMAS.

Il faut donc pour... mais, non, je pense...

Pourtant, enfin, l’expérience...

Voyez-vous, je conseille bien.

BONIFACE.

Au diable si j’y comprends rien !

THOMAS.

Maudite soit la tête folle !

BONIFACE.

Tâchons à prendre la parole.

THOMAS.

Oui, quant au traître d’enleveur,

Je veux en être l’étrangleur.

BONIFACE.

S’il tombe sous mes mains, je jure

De lui déchirer la fressure.

Si quelque diable familier

Je l’enverrai voir son grand-père

Par delà la fleuve Styx.

Moi seul j’en pourrais battre dix.

Quand la colère me transporte,

Je suis vaillant de telle sorte

Que devant moi les plus hardis...

THOMAS.

Je suis aussi...

BONIFACE.

Les Amadis,

Ces paladins si redoutables,

Ceux que l’on vante dans les Fables,

Les demi-dieux, les Gérions,

Les Encelades, les Tiphons,

Ceux de fabrique plus nouvelle,

Les petits-fils de Gargamelle,

Roland, Ogier le Danois,

Rodomont, l’honneur des Gaulois,

Fierabras, et toute leur suite,

Ne sont bons qu’à prendre la fuite.

THOMAS.

C’est trop en dire pour un coup.

BONIFACE.

Vous ignorez...

THOMAS.

J’ai vu le loup.

BONIFACE.

Sachez qu’à la fleur de mon âge

J’étais un rude personnage

À la guerre des Guéridons

Je battais les plus furibonds,

Je donnais leçons aux soudrilles,

J’étais grand enleveur de filles ;

Parce que j’étais furieux,

On m’appelait le dangereux.

Mais admirez, mon cher compère :

Ce que jadis j’aimais à faire,

Sans pitié du malheur d’autrui,

Je me le vois faire aujourd’hui.

THOMAS.

Or...

BONIFACE.

Je vous plains, pauvres familles,

Qui nourrissez de belles filles !

Qu’heureuses sont les nations

Fertiles en précautions !

THOMAS.

Donc...

BONIFACE.

Qu’il fait sûr en Italie !

Qu’il fait encor bon en Turquie !

Que l’on y garde bien l’honneur !

Que ne suis-je le Grand Seigneur !

J’aurais des gardes très fidèles,

Qui répondraient de mes femelles.

THOMAS.

Quoi, je ne pourrai plus parler !

BONIFACE.

Au diable puissiez-vous aller !

THOMAS.

Au diable soit votre infortune !

BONIFACE.

Au diable soit qui m’importune !

Mais on a fermé ma maison.

THOMAS.

Cela sent bien la trahison ;

Gardez-vous donc, mon cher compère,

De faire ici le téméraire.

BONIFACE.

Aurais-je bien, dans mon effroi,

Tiré cette porte après moi ?

 

 

Scène V

 

BONIFACE, MONSIEUR THOMAS, ÉLISE et LISETTE, à la fenêtre

 

LISETTE.

Qui va là ?

THOMAS.

Qui va là ! la peste !

L’intelligence est manifeste.

Le suborneur a pris son temps

Pour mettre garnison dedans ;

Si j’entre, je veux qu’on m’étrille.

Quelqu’un paraît à cette grille :

C’est la femme du commandant.

LISETTE.

Quel est ce sot, cet impudent,

Qui heurte avecque tant d’audace ?

THOMAS.

C’est un ami de Boniface.

LISETTE, ouvrant la porte.

N’est-il pas bien Monsieur pour vous ?

THOMAS.

Compère, halte à votre courroux !

Votre fille s’est retrouvée.

BONIFACE.

On ne l’a donc pas enlevée.

ÉLISE, à Lisette.

Descends.

BONIFACE.

Mais l’avais-je rêvé ?

THOMAS.

D’un grand mal vous voilà sauvé ;

Votre fille vient de paraître,

Et je l’ai bien su reconnaître.

BONIFACE.

Ouvrez, ouvrez, ma fille, ouvrez.

LISETTE.

Entrez, Monsieur, Monsieur, entrez.

BONIFACE.

Dois-je la quereller, compère ?

THOMAS.

Avez-vous sujet de le faire ?

BONIFACE.

Hé bien donc, ne lui disons rien.

Rentrez, sotte. Par quel moyen

Me suis-je abusé de la sorte ?

THOMAS.

C’est que le soupçon vous transporte.

BONIFACE.

Ce soupçon n’est point mal fondé

Un de mes amis m’a mandé

Que j’observasse bien ma fille.

Le scandale est dans ma famille,

C’est ce qui me rend indigné ;

Sans doute qu’elle a forligné.

THOMAS.

Mais n’avez-vous point quelque idée

Des gens dont elle est obsédée !

BONIFACE.

Non, je crois que c’est un sorcier

De qui je me dois défier.

 

 

Scène VI

 

BONIFACE, MONSIEUR THOMAS, GUILLOT

 

GUILLOT.

Bien courir est un avantage

Qui me tire d’un grand naufrage

Grâce au ciel me voilà sauvé.

Comment ne m’ont-ils point crevé ?

Comment ai-je évité le piège

De cette graine de collège ?

Mais, après tant de coups rués,

Suis-je point au rang des tués ?

M’ont-ils laissé la vie entière ?

Je suis vif devant ; par derrière

Ne m’auraient-ils point amorti ?

Non, ou je n’en ai rien senti.

BONIFACE.

Appropinque, mon galant homme.

GUILLOT.

Ha ! Ce mot de latin m’assomme.

THOMAS.

Qu’as-tu ?

GUILLOT.

Je perds un bon métier :

Depuis dix ans je suis portier

Du collège de Crassinaille ;

Mais une maudite canaille

Que l’on instruit mal dans ce lieu,

Soit par rancune, soit par jeu,

Externes et pensionnaires,

Se sont montrés mes adversaires,

Et m’ont fait tant de maux divers,

Que, las de les avoir soufferts,

Afin de vivre d’autre sorte,

Je renonce à garder la porte !

BONIFACE.

Pourquoi, si tu t’y trouvais bien,

Y renonces-tu ?

GUILLOT.

Quel moyen

De rester parmi tant de diables

Qui sont irréconciliables ?

Je les ai trop désobligés,

Ils en voudront mourir vengés

Las ! ils me poursuivent en poupe.

THOMAS.

Gros boursouflé, gros ventre à soupe,

Pourquoi les désobligeais-tu ?

GUILLOT.

Pourquoi suis-je homme de vertu ?

Ah ! Si j’avais souffert leurs vices,

Leurs impudences, leurs malices,

J’aurais été portier chéri !

Mais las ! je serais bien marri

D’avoir gagné leur bienveillance

Par une lâche connivence.

Combien ai-je empêché le cours

De leurs criminelles amours ?

Combien arrêté de commères,

De revendeuses, de fruitières,

Et d’autres gens qui, sous tels noms,

Venaient friponner les fripons ?

BONIFACE.

Cet homme est bien mon fait, compère

Qu’en dites-vous ?

THOMAS.

Rien de contraire.

BONIFACE.

Ami, voudrais-tu me servir ?

GUILLOT.

Monsieur, je suis prêt d’obéir.

BONIFACE.

Je suis veuf, et n’ai qu’une fille

Qui met le trouble en ma famille,

Parce qu’elle a l’esprit coquet,

Et qu’elle aime fort le caquet.

Ce qui me met plus en cervelle,

Plusieurs coquets sont aimés d’elle ;

Ainsi je crains à tous moments

De naturels événements,

Et que quelque ardeur sensitive

Ne porte à la copulative.

Pour prévenir ces accidents,

Et suivre des conseils prudents,

Soit que ma fille, ou non, s’en fâche,

Je veux donner à cette vache

Des Argus pour la surveiller.

GUILLOT.

Je n’aime point à sommeiller,

Ou je dors la paupière haute ;

Ainsi je ne puis faire faute.

THOMAS.

Mais la gardant, garderas-tu

Ce que l’on appelle vertu ?

GUILLOT.

Oui, monsieur.

THOMAS.

Je te tiens habile ;

Mais, vois-tu, l’honneur d’une fille

Est un oiseau prompt à partir.

GUILLOT.

C’est bien fait de m’en avertir.

Après cela, laissez-moi faire :

Je suis grec eu pareille affaire.

BONIFACE.

Allons le mettre en faction.

Ça, viens prendre possession

De ton emploi.

GUILLOT.

J’en meurs d’envie.

BONIFACE.

Compère, attends-moi, je te prie.

THOMAS.

Je le veux ; mais je suis un fat,

De ne pas songer que le chat

Pourrait bien desservir ma table.

C’est trop faire le secourable.

 

 

Scène VII

 

MONSIEUR THOMAS, CLÉANDRE, habillé en Turc

 

CLÉANDRE, bas.

Voici quelqu’un de ses voisins.

THOMAS.

Allons-nous, bourrer les boudins

Avec notre grand voisin Cosme.

D’où diable est sorti ce fantôme ?

Si je fais ici le rétif,

Je vais être empalé tout vif :

Fuyons.

CLÉANDRE.

Monsieur, restez de grâce.

THOMAS.

Je n’oserais le voir en face.

CLÉANDRE.

Daignez me parler un moment.

THOMAS.

Ah ! Monsieur le Mahométan,

Je suis un pauvre misérable,

Qui craint un Turc autant qu’un diable.

CLÉANDRE.

Sortez de votre illusion :

Je suis de votre nation.

Quoi que mon habit me déguise,

Ma naissance me déturquise.

THOMAS.

Vous n’êtes pas Turc ?

CLÉANDRE.

Non, monsieur.

THOMAS.

Je ne sais si c’est une erreur,

Ni même ce que j’en dois croire.

CLÉANDRE.

Un petit bout de mon histoire

Vous en instruira pleinement.

THOMAS.

J’aime l’histoire horriblement :

Apprenez-moi la toute entière.

CLÉANDRE.

J’y trouverais trop de matière.

 

 

Scène VIII

 

MONSIEUR THOMAS, CLÉANDRE, BONIFACE

 

CLÉANDRE.

Très volontiers ; prêtez silence.

Mais je vois quelqu’un qui s’avance.

THOMAS.

C’est mon voisin, ne craignez rien.

BONIFACE.

Ha ! compère, que tout va bien !

Mais quelle est cette étrange trogne ?

THOMAS.

Chut, chut !

CLÉANDRE.

La reine de Pologne

S’en allant pour trouver son roi

Comme elle avait besoin de moi

Pour l’entretien de sa coiffure,

(Car je coiffe mieux qu’en peinture)

Me voulut avoir dans son train

Sous espérance de grand gain,

Je suivis cette grande reine

Qui m’a bien payé de ma peine.

Las d’être si loin engagé,

Je lui demandai mon congé,

Afin de retourner en France ;

Je l’obtins, puis en diligence

Je m’embarquai pour mon retour.

Mais, hélas ! dès le premier jour,

Venant d’éviter un naufrage,

Je tombai dedans l’esclavage ;

Par un vieux corsaire d’Alger,

De chaînes je me vis charger,

Ainsi conduit droit en Turquie,

Où je croyais passer ma vie

Dans le sérail du Grand Seigneur,

Où je fus placé par bonheur,

Pour y coiffer toutes les belles,

Et même pour veiller sur elles.

THOMAS.

La Gazette a parlé de vous ;

Et je vais gager entre nous

Toutes les richesses d’Espagne

Que vous êtes monsieur Champagne.

CLÉANDRE.

Vous l’avez deviné, monsieur :

Je suis Champagne le coiffeur.

THOMAS.

Votre aventure est admirable !

CLÉANDRE.

Elle m’a rendu misérable ;

Ha ! que les Turcs sont inhumains !

THOMAS.

Vous ont-ils fait sentir leurs mains ?

CLÉANDRE.

Hélas !

THOMAS.

Mais encor, quel martyre

Vous ont-ils fait ?

CLÉANDRE.

À vous le dire,

J’aurais trop de confusion :

Ha ! la barbare nation !

BONIFACE.

Mais ils n’empalent plus le monde.

CLÉANDRE.

Leur rage est pourtant sans seconde.

Las ! Que ne m’ont-ils empalé,

Écorché tout vif et brûlé !

J’aurais assouvi leur envie,

Sans regret de quitter la vie.

BONIFACE.

Vous croyez donc qu’il est un sort

Beaucoup plus rude que la mort ?

Serait-ce point ?... Mais j’appréhende

De faire une sotte demande.

THOMAS.

Ils vous ont donc, les inhumains,

Rendu léger de quelques grains ?

CLÉANDRE.

Monsieur, vous...

THOMAS.

Votre langue hésite

Vous êtes de ces gens d’élite

Dont tout le sérail est rempli ?

Votre teint en est embelli.

Avouez entre nous la chose,

Et je vous promets bouche close.

BONIFACE.

Qu’est-ce qui le rend si craintif ?

THOMAS.

C’est qu’il n’est plus génératif.

Ce secret demande le vôtre.

BONIFACE.

Ha ciel ! quel bonheur est le nôtre

Mon ami, dites franchement,

Voudriez-vous présentement

Prendre emploi ?

CLÉANDRE.

C’est bien mon attente

Si l’occasion s’en présente.

BONIFACE.

Hé bien donc, sans autre raison,

Je vous offre dans ma maison

Une charge, avec un asile :

La charge est de garder ma fille.

THOMAS.

Vous entendez bien le détail.

CLÉANDRE.

Ayant servi dans le Sérail,

Je sais ce qu’il faut que j’observe,

Et je suis à vous sans réserve.

BONIFACE.

Devant que d’entrer au logis,

Un petit mot de votre avis :

Comme je sais l’humeur d’Élise,

De crainte qu’elle soit surprise

De ces domestiques nouveaux,

Trouverez-vous pas à propos

Que j’ôte à son âme crédule

Et le soupçon et le scrupule

Qu’elle pouvait sans doute avoir

D’un juste et rigoureux pouvoir ?

Car les filles sont ombrageuses :

La mienne aime fort les coiffeuses :

La Durancey, la Jeanneton,

La Poulet et la Bariton,

L’attirent chaque jour chez elles

Au bruit des coiffures nouvelles.

Or c’est un prétexte qu’elle a

D’aller courir par-ci par là.

Donc, pour flatter sa fantaisie,

D’une façon fort adoucie,

Je veux lui faire pressentir

Que Champagne est pour la servir ;

Que, comme en cet art il excelle,

Je l’ai pris tout exprès pour elle.

Ainsi, de son consentement,

Il fera sa charge aisément,

Sans que jamais on le soupçonne.

THOMAS.

Certes votre raison est bonne ;

La suivant on ne peut faillir.

BONIFACE.

Çà donc, je m’en vais l’avertir.

Holà, holà, holà, Lisette !

LISETTE, paraît à la porte.

Monsieur, je mettais la toilette ;

Mademoiselle attend après.

BONIFACE.

Quand elle le ferait exprès,

La chose ne pourrait mieux être.

LISETTE.

Que vous plaît-il donc, mon cher maître ?

BONIFACE.

Ouvre la salle promptement,

Et qu’Élise au même moment

S’y rende, et Guillot avec elle ;

Et surtout dis lui pour nouvelle

Que j’ai pris pour mon serviteur

Champagne, l’illustre coiffeur.

Penses-tu que cela lui plaise ?

LISETTE.

Monsieur, que je vais la faire aise !

THOMAS.

Puisque vous retournez chez vous,

Comme tout est libre entre nous,

Trouvez bon que de même j’entre

En ma maison, comme en mon centre,

Certain qu’au premier carillon,

Aussi vite qu’un tourbillon,

Je fondrai sur vos adversaires,

Si...

BONIFACE.

J’ai mis ordre à mes affaires.

THOMAS.

Bonsoir et bonne nuit.

BONIFACE.

Bonsoir.

THOMAS, s’en allant.

Turc, faites bien votre devoir.

 

 

Scène IX

 

BONIFACE, CLÉANDRE, ÉLISE, GUILLOT, LISETTE

 

La salle s’ouvre.

BONIFACE.

Ma fille, êtes-vous satisfaite

De l’élection que j’ai faite ?

Cet homme entend l’ajustement,

Mieux que La Prime assurément.

ÉLISE, devant sa toilette.

On m’a tant vanté son adresse,

Que déjà le désir me presse

De voir mes cheveux en ses mains.

CLÉANDRE.

Quoi que chacun ait ses desseins,

Je fais toujours que ma méthode

Est le modèle de la mode.

Sur tout je donne des leçons.

Je sais natter en cent façons

Je coiffe en coquette, en Diane,

En impératrice, en sultane

En cheveux longs en cheveux courts,

Selon la taille et les atours.

Je sais prendre l’air du visage,

Selon les traits et selon l’âge :

Je sais taper, je sais friser,

Je sais posticher et raser,

Je tourne la boucle à merveille ;

Bref, mon adresse est sans pareille.

En Pologne j’ai réussi,

Et dedans le sérail aussi,

Si bien que je prétends encore

Vous coiffer mieux que n’est l’Aurore.

ÉLISE, étant devant sa toilette.

Que dites-vous de mes cheveux ?

CLÉANDRE.

Ils sont beaux et déliés.

ÉLISE.

Je veux

Que vous défrisiez mes moustaches.

CLÉANDRE.

Madame, on vous les tient trop lâches,

La papillote pend trop bas.

ÉLISE.

Pour ce coup il n’importe pas.

CLÉANDRE.

Voyez, l’une en l’autre se fourre.

BONIFACE.

Tournez-les bien en tire-bourre.

Bon, c’est ainsi que je l’entends ;

Pour le reste prenez du temps.

Cependant je m’en vais écrire

Quelques dépêches pour l’Empire.

 

 

Scène X

 

ÉLISE, CLÉANDRE, GUILLOT, LISETTE

 

CLÉANDRE.

Après ce que j’ose pour vous,

Madame, mon sort serait doux,

Si l’occasion opportune

Pouvait achever ma fortune.

La chose est en votre pouvoir,

Vous n’avez donc qu’à le vouloir.

ÉLISE.

Ha, ne me pressez point, Cléandre,

Lorsque je ne puis me défendre ;

Usez en généreux vainqueur

De la conquête de mon cœur.

Votre foi fait mon assurance,

Mais faisons tout avec prudence.

LISETTE.

Madame, vous parlez trop haut,

C’est là toujours votre défaut :

Votre père a l’oreille bonne.

Comme je sais qu’il vous soupçonne,

Et vous observe incessamment,

Il faut parler plus nettement,

Pour conclure votre retraite,

Qui déjà devrait être faite ;

Mais comme il est bon de presser,

Entre vous daignez y penser.

GUILLOT.

Mignonne, dis-moi, la toilette...

LISETTE.

Hé bien, qu’est-ce ?

GUILLOT.

Est-elle complète ?

LISETTE.

Tant que nous en avons besoin.

GUILLOT.

En la mettant, as-tu pris soin

D’y ranger toutes les denrées

Par qui beautés sont réparées ?

As-tu mis sous ce taffetas

Le magasin des faux appas ?

LISETTE.

Insensé, que me veux-tu dire ?

Penses-tu que je veuille rire ?

GUILLOT.

Je te prie, aimable animal,

Ne prends pas les choses si mal.

Avec mon humeur ingénue,

Je n’ai pas toujours la berlue,

Et je sais de fort bonne part

Qu’il est peu de beautés sans art,

J’entends, qui ne se débarbouille

Ou bien plutôt qui ne s’enrouille,

Quoi qu’il en soit, qui pourrait bien

Paraître sans employer rien ;

Mais, pour être plus regardées,

Toutes veulent être fardées.

Vois-tu, je le sais mieux que toi,

Et tu dois croire, sur ma foi,

Quoi que ta maîtresse soit belle,

Que sa fraîcheur soit naturelle,

Que son teint soit blanc et rosé,

Qu’elle n’ait point le cuir bronzé,

Que sa bouche soit bien meublée,

Qu’elle ait la taille bien taillée,

Je crois que dessous ce satin

Elle a mille drogues et son train.

Ça, visitons cette toilette.

Que tu fais la sotte, Lisette !

Laisse-moi voir à mon loisir.

Bon, voici du noir à noircir ;

C’est pour les sourcils.

LISETTE.

Tu te moques ?

GUILLOT.

Que garde-t-on en cette coque ?

LISETTE.

Des pépins de coins, et de l’eau.

GUILLOT.

Pour gommer, le secret est beau,

Parce que la gomme arabique

Est trop forte en cette pratique.

Qu’est ceci ?

LISETTE.

C’est un peu d’alun.

GUILLOT.

Et là ?

LISETTE.

C’est du rouge commun.

GUILLOT.

Le vermillon et la céruse

Seront là, si je ne m’abuse ;

Ouvrons ces papiers : j’ai bien dit.

Ne crèves-tu point de dépit ?

LISETTE.

Ha ! Guillot, laisse-là le reste.

GUILLOT.

Crie, ou prie, ou menace, ou peste,

Je veux me satisfaire enfin.

Qu’est-ce que je sens sous ma main ?

Un râtelier de dents, sans doute ;

Il faut le voir, quoi qu’il en coûte.

Non, c’est un bracelet de prix ;

Pour ce coup je me suis mépris.

Est-ce ici que l’on prend la mouche ?

LISETTE.

Tu peux bien voir ce que tu touches.

GUILLOT.

Tu prends plaisir à bégayer.

Elles sont de la Mestayer :

Je les connais bien à la taille ;

Les autres ne sont rien qui vaille.

Lisette, approche ton menton,

Que je t’y mette ce gros ton.

Sans doute en cette boîte noire,

Sont yeux d’émail, et dents d’ivoire

Ha ! j’ai tort, ce sont des cheveux.

En voici pour plaire à tous yeux.

Quoi qu’en brun j’estime ta mine,

Approche que je te blondine.

À quoi sert ce petit outil ?

LISETTE.

C’est pour arracher le sourcil.

GUILLOT.

Voyons tout le reste à la hâte :

De l’opiate, de la pâte,

Tant pour les mains que pour les dents.

Que renferme-t-on là dedans ?

De la brique pulvérisée !

Ma vue est ce coup abusée :

C’est plutôt du sang de dragon,

Ou du corral en poudre ; bon !

Ha ! Voici la fine pommade

Dont on guérit le teint malade ;

La boîte aux peignes, la voilà.

Je crois qu’il s’en faut tenir là.

Hé bien, Lisette, dis encore

Que tant de beautés qu’on adore

Sont sans emprunt et sans défaut,

Et je te croirai, s’il le faut.

LISETTE.

Si j’osais croire mon courage,

Je déchirerais ton visage

Mais je crains de faire du bruit.

CLÉANDRE.

Voyez à quoi je suis réduit,

Et puisque la feinte est propice,

Profitons de cet artifice :

Allons, Madame, éloignons-nous.

ÉLISE.

Oui, je consens à tout pour vous,

À la charge que l’hyménée

Nous unira cette journée.

CLÉANDRE.

J’accepte la condition.

Donnons dedans l’occasion.

GUILLOT.

La porte est ouverte, la belle,

Enfilez vite la venelle.

ÉLISE, en sortant.

Sauvez-moi d’un père irrité.

CLÉANDRE.

Fiez-vous en ma probité.

 

 

Scène XI

 

CLÉANDRE, ÉLISE, GUILLOT, LISETTE, THOMAS

 

GUILLOT.

Ha ! Monsieur, que faut-il qu’on fasse ?

Voici l’ami de Boniface.

THOMAS.

Quoi, Turc, vous quittez la maison ?

CLÉANDRE.

Tais-toi.

THOMAS.

Trahison, trahison !

ÉLISE.

Comment sortir de ces alarmes ?

THOMAS.

Aux armes, Boniface, aux armes !

CLÉANDRE.

Maraud, vois-tu bien ce poignard ?

Je t’en perce de part en part,

Si tu t’opposes à ma retraite.

THOMAS.

La mienne sera bientôt faite ;

Monsieur, je ne m’oppose à rien,

Car j’aurais tort.

CLÉANDRE.

Tu feras bien.

THOMAS.

Si vous avez besoin d’escorte...

CLÉANDRE, s’en allant.

Je t’en remercie.

THOMAS.

À ma porte,

Et devant moi me maltraiter !

Je devais bien les arrêter.

GUILLOT, revenant sur ses pas.

Hé quoi, coquin, tu nous regardes !

As-tu point peur qu’on te poignarde ?

THOMAS.

Monsieur, je ne regarde pas.

GUILLOT.

Vois-tu, si...

THOMAS.

Je mets armes bas.

Boniface en tient pour son compte.

 

 

Scène XII

 

MONSIEUR THOMAS, BONIFACE

 

BONIFACE.

Allons réparer notre honte.

THOMAS.

Où sont-ils ? Qu’est-ce qui va là ?

C’est donc vous, traître !

BONIFACE.

Holà, holà.

THOMAS.

Morbleu, je ne fais point de grâce.

BONIFACE.

Doucement je suis Boniface.

Avecque ce maudit outil

Vous m’avez blessé le nombril.

THOMAS.

Mon pauvre ami, c’est chose faite,

Les enleveurs ont fait retraite ;

J’en suis encor tout plein d’effroi.

BONIFACE.

Quoi, l’on abuse ainsi de moi !

Qu’en dira-t-on parmi la ville ?

THOMAS.

Pourquoi refuser votre fille

À des partis avantageux ?

BONIFACE.

Hélas, que je suis malheureux !

Je me vois sans fille et sans gendre.

Que n’acceptais-je ce Cléandre

Qu’un ami m’avait proposé !

Ah ! que je fus mal avisé !

 

 

Scène XIII

 

BONIFACE, MONSIEUR THOMAS, CLÉANDRE, ÉLISE, GUILLOT, LISETTE

 

THOMAS, voyant venir Cléandre.

Voisin, notre mort est certaine.

CLÉANDRE.

Monsieur, pour vous tirer de peine,

Je viens...

BONIFACE.

Ha ! traître, il faut mourir.

CLÉANDRE.

Je saurai bien m’en garantir,

Si l’on me force à me défendre.

GUILLOT.

Dites que vous êtes son gendre ;

Aussi bien il s’en faut très peu.

THOMAS.

Je n’ose me mêler au jeu.

CLÉANDRE.

Apprenez que je suis Cléandre,

Qui veut devenir votre gendre.

BONIFACE.

N’est-ce point encor m’abuser ?

CLÉANDRE.

Mon dessein me peut excuser.

GUILLOT.

Pour rendre t’excuse parfaite,

J’offre aussi d’épouser Lisette.

THOMAS.

Je suis d’accord de l’union.

BONIFACE.

Je suis plein de confusion.

Mais vous étiez tantôt Champagne.

CLÉANDRE.

Champagne est mon nom de campagne.

ÉLISE.

Mon cher père, pardonnez-nous.

CLÉANDRE.

Acceptez-moi pour son époux.

GUILLOT.

Mon maître est homme de mérite ;

D’ailleurs je vous en sollicite.

BONIFACE.

Hé bien donc, je consens à tout.

GUILLOT.

Lisette, nous sommes au bout

De nos travaux.

LISETTE.

Oui, que t’en semble ?

GUILLOT.

Que nous serons bientôt ensemble,

Et que devant trois fois trois mois

Tu chanteras à pleine voix

Des petits pâtés.

LISETTE.

Tu folâtres.

GUILLOT.

Tu te feras tenir à quatre,

Quand viendront ces petits marmots.

Que nous en aurons de Guillots !

La race de ta Guillotière

Sera comme une pépinière.

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